Quand la France ne fait plus rêver · L’exemple du Niger

Antonin Tisseron, chercheur associé à l’Institut Thomas More


Juin 2016 • Note d’actualité 38 •


Le Niger, pays particulièrement exposé à la menace jihadiste qui pèse sur la bande sahélo-saharienne, est généralement considéré en France comme un partenaire fiable et conscient des enjeux sécuritaires. Vue du Niger cependant, hors des alcôves du pouvoir, la relation franco-nigérienne est marquée depuis quelques années par une nette dégradation. Et si cette dernière n’est pas inexorable, elle ne saurait être négligée. D’autant que le Niger ne fait pas exception…


Les 16 et 17 janvier 2015, après la publication en une de caricatures de Mahomet par le journal Charlie Hebdo, des émeutes particulièrement violentes touchaient des lieux de cultes chrétiens, des bars et des commerces, dans les villes de Niamey et de Zinder principalement. Le bilan du week-end est lourd : des morts, une vingtaine d’églises et de temples brûlés sur l’ensemble du territoire, des débits de boisson saccagés, des points de vente de cartes téléphoniques Orange vandalisés, le centre culturel français de Zinder incendié, des magasins pillés, à Agadez le siège du parti du président Mahamadou Issoufou (PNDS) attaqué…

Ces émeutes ont constitué un électrochoc. Non parce que les symboles de la France et du parti au pouvoir ont été attaqués, ce qui reste somme toute un classique de nombre de manifestations en Afrique francophone. Mais outre leur caractère particulièrement violent et structuré ainsi que le rôle joué par des imams dans leur déclenchement, elles sont les premières du Niger durant lesquelles la religion chrétienne a été attaquée de cette façon. Dans cette perspective, elles ont été associées aux excroissances dans le pays de la secte Boko Haram et à la montée d’acteurs religieux radicaux ayant occupé le vide laissé par l’État : prêcheurs, prédicateurs, imams formés à l’école des Izala, mouvement venu du Nord du Nigéria et largement inspiré de la théologie wahhabite saoudienne ainsi que par les pratiques réformistes salafistes. « Une idéologie salafiste radicale a […] peu à peu fait son trou au sein de la société nigérienne, observe l’anthropologue franco-nigérien Jean-Pierre Olivier de Sardan. Elle a pu se développer en surfant sur la vague wahhabite, autrement dit un islam fondamentaliste qui a déferlé sur le Niger et les pays sahéliens depuis une bonne vingtaine d’années, promu par l’Arabie saoudite et le Qatar, à coups de financements massifs, de formations de clercs et de propagande médiatique ».

Par-delà cette évolution religieuse, le poids politique croissant d’acteurs religieux – qualifiés parfois « de première force d’opposition » – et l’absence d’encadrement par les représentants d’un État critiqué et en mal de légitimité populaire, ces manifestations posent la question de l’évolution de l’image de la France dans le pays. La lecture reposant sur l’instrumentalisation par l’opposition ou divers meneurs tend en effet à occulter une hostilité croissante à l’égard de la France dépassant les simples facteurs religieux ou un terreau favorable résultant de la pauvreté, du rejet d’un modèle occidental d’éducation et de développement, ou encore d’un islam radical justifiant le recours à la violence et permettant à des prédicateurs de disposer d’un « effet de levier » sur leurs fidèles. Comme le constatait devant un journaliste un expatrié français dans le pays, « les manifestants ont attaqué les symboles des intérêts français, comme si les Églises évangéliques et catholiques pouvaient être associées à ces mêmes intérêts… ». Ce propos mérite d’être nuancé au regard des cibles attaquées et de la présence parmi les manifestants de pillards. Ceci étant, il rappelle que nombre d’émeutiers ont ciblé prioritairement la France et ce qui symbolisait sa présence et son influence.